Chambres avec vue sur le fond des mers d'après l’œuvre d'Ibsen
Mise en scène : C. Charnay Dramaturgie : E. Baudou
L’envie de réaliser ce projet est née de la découverte du théâtre d’Ibsen et de la rencontre avec les personnes qui constituent aujourd’hui l’équipe de création. Auteur de la fin du XIXeme siècle, Ibsen ne cesse d’étonner par la modernité de sa pensée. Dans une période où les consciences commencent tout juste à s’éveiller, Ibsen porte un regard aiguisé sur la psychologie féminine et dépeint dans ses pièces les besoins fondamentaux auxquelles les femmes aspirent. Son œuvre aborde un sujet essentiel, novateur à son époque et toujours d’actualité aujourd’hui : la femme en tant que sujet propre, créatrice de sa vie et pilier de la société.
Refusant d’intégrer ses pièces dans un mouvement de militantisme pour la libération de la femme, il soutient cependant qu’elles ne peuvent se restreindre au rôle que leur attribue la société et qu’elles doivent exercer leur propre volonté. La forme choisie permet de faire découvrir ou redécouvrir de belles pages du théâtre d’Ibsen mais pointe également des sujets sensibles au XIXième siècles qui attisent encore notre réflexion.
LIMINAIRE
Sous les yeux des spectateurs, la vie intérieure du dramaturge H. Ibsen. Peuplée de femmes : ses proches et ses héroïnes. Que nous dit-il à leur sujet ? Que nous apprennent-elles sur lui ? Voilà ce que raconte Chambres avec vue sur le fond des mers.
Les chambres, ce sont ces lieux de passages qu’investissent successivement les acteurs virevoltant d’un texte à l’autre ; ce sont les décors qu’ont créés successivement les metteurs en scène pour l’œuvre d’Ibsen. Quant au fond des mers, il est là, derrière l’unique porte de la scénographie, comme un grenier dans lequel personne n’ose s’engager, une porte sur l’extérieur, sur la réalité, hors du fantasme, hors du théâtre.
Un homme et quatre femmes incarnent quelques-uns des grands textes du dramaturge, lâchant de temps à autre quelques bribes sur sa vie. Et lorsque l’homme meurt, à la fin, sous les traits de John Gabriel Borkman, le public a bien conscience que c’est une part d’Ibsen qui disparaît. Les femmes sont alors rendues à elles-mêmes : libérées de l’auteur, les comédiennes reprennent le pas. Sans le dramaturge, les personnages se meurent.
NOTE D'INTENTION
« Vivre à des étages séparés, se voir pendant les repas et se dire vous1 » : telle était la conception du mariage selon Henrik Ibsen. Une distance froide, voire même un désintérêt à l’égard des femmes émanent de cette déclaration. Il est pourtant difficile d’imaginer que ces paroles sortent de la bouche d’un auteur qui n’a eu de cesse de placer la femme au cœur de ses œuvres théâtrales : dans ses drames psychologiques, Ibsen nous met face à la complexité vertigineuse des êtres et tout particulièrement des femmes – prises dans le cruel déséquilibre entre aptitudes et aspirations, volonté et possibilité.
Nous commençons ici à cerner la relation qu’entretenait Ibsen avec ses « héroïnes », une relation à mi-chemin entre la peur et l’admiration. Que serait devenu Ibsen sans ces femmes ? Quelle image nous laisse-t-il voir d’elles dans ses œuvres ? Nous connaissons Suzannah, son épouse, dont la force et l’intelligence remarquables ont sans doute permis à Ibsen de traverser le chemin épineux qui l’a conduit à devenir un des plus grands dramaturges de son temps. Mais, d’autres femmes nourrissent et traversent l’œuvre d’Ibsen qu’elles soient réelles, Rikke Holst, Laura Peterson ou fictives, Hedda, Nora, Mme Alving… Il savait comme personne comprendre « que leur malheur est qu’on les dresse dans l’attente de quelque chose d’incertain. Si leurs espoirs ne se réalisent pas, l’amertume et la déception brisent des individualités ». Refusant d’intégrer ses pièces dans un mouvement de militantisme pour la libération de la femme, il soutient cependant qu’elles ne peuvent se restreindre au rôle que leur attribue la société et qu’elles doivent exercer leur propre volonté.
Ibsen observait les femmes avec un œil de psychanalyste. Sa très fine analyse de l’esprit féminin a suscité un grand intérêt chez les plus grands psychanalystes : Freud, Groddeck, Lacan, Ferenczi. « Les médecins en était encore à s’acharner sur des hypothèses stériles […] lorsque Ibsen écrivit son drame La dame de la mer, où il analysait à peu près parfaitement l’obsession de son héroïne dont l’origine est un conflit psychique, symbolisé par son attachement absurde à la mer. »2
C’est dans ce même mouvement que nous avons imaginé le spectacle : analyser le texte en créant des figures féminines avant tout d’après la psychologie des caractères. Il ne s’agit pas de réaliser un spectacle biographique mais de suivre la démarche d’Ibsen. L’objectif n’est pas seulement de faire vivre les personnages de ses pièces, mais de découvrir en quoi ils sont le reflet de conflits psychiques pouvant nous éclairer sur les relations qu’Ibsen entretenait lui-même avec les femmes. Il apparaîtra sur scène dénué des attraits qui font sa renommée : sans son chapeau haut de forme et sans ses favoris, il nous parlera simplement. Qu’est-ce qui se cachait derrière ce style si distinctif, derrière cet air froid qui semble pénétrer l’âme humaine d’un seul regard ? Nous connaissons ses difficultés à lier des relations intimes et profondes, nous savons son incapacité à se dévoiler quant à ce qui le travaillait au plus profond de lui. Se dégage de son œuvre ce bouillonnement interne et cette nécessité de sublimer une souffrance psychique par l’écriture. C’est par l’acte de création qu’il va tenter de se libérer de ses complexes. Une aspiration traverse son œuvre, cette volonté de se réaliser en tant qu’écrivain d’une part et en tant que personne d’autre part : sans cesse, il visait un idéal. Atteindre le bonheur par l’exercice de notre propre volonté, par la recherche d’un équilibre entre l’expression de sa propre individualité et l’obéissance à certaines normes sociales : existe-t-il une aspiration plus universelle ?
Cette quête de soi est une source d’interrogations intarissable. Ibsen nous rappelle à cette envie de sortir d’un carcan, de se libérer de valeurs et d’idées qui empêcheraient de viser la plus noble des aspirations : devenir soi-même. Il qualifiait au XIXème siècle ses œuvres de « tragédies de notre temps », gageons que nous pouvons encore le dire aujourd’hui.
1 De Decker, J. Ibsen, folio biographie, édition Gallimard, Paris, 2006, p. 29.
2 Ferenczi, S. “Des psychonévroses”, Oeuvres complètes, t.1, Paris, Payot, 1975.
L'ASSOCIATION IPHIGENIE
L’association Iphigénie voit le jour au printemps 2009 alors qu’Estelle Baudou monte Iphigénie à Aulis d’Euripide à Lyon. Les différents partenariats instaurés pour ce projet (ville de Lyon, dispositif PRODIJ, région Rhône-Alpes, dispositif Projet jeunes, CROUS, université Lyon III…) nécessitaient une structure que l’association leur fournit. Cette mise en scène marque également la rencontre artistique de Claudine Charnay et Estelle Baudou.
En septembre 2009, Iphigénie produit le spectacle Vanitas, d’après Push up de R. Schimmelpfennig. L’adaptation et la mise en scène sont signées Matthieu Pastore ; on retrouve dans l’équipe plusieurs des participants d’Iphigénie à Aulis et notamment, sur le plateau, Claudine et Estelle. La création est jouée quatre fois au théâtre Myriade à Lyon.
En 2010, l’association accepte un partenariat avec la Cave du Père Tienne (Sologny, 71) et s’engage à produire un spectacle pour leurs portes ouvertes du mois de mai. La création poétique que Claudine (à la mise en scène) et Estelle (à la dramaturgie) proposèrent connut un vif succès. Un verre à la main est également l’occasion pour Iphigénie d’agrandir son équipe : pour la première fois Maxime Roger et Amélie Hennes jouent dans l’une des productions de l’association.
Forte de projets menés à bien et d’une équipe prometteuse, Iphigénie a donc décidé, en juin 2011, de soutenir le projet de mise en scène de Claudine Charnay. Création de longue haleine (diffusion 2012-2013), Chambres avec vue sur le fond des mers, d’après l’œuvre d’H. Ibsen, mobilise actuellement toutes les forces vives de l’association.
L'EQUIPE
Claudine Charnay – metteur en scène
Estelle Baudou – dramaturge
Elise Clarac Hordé – comédienne
Amélie Hennes – comédienne
Elodie Muselle – comédienne
Zoé Poutrel – comédienne
Maxime Roger – comédien
Floriane Perrone - administratrice
DIFFUSION
Nous voulons que ce spectacle tourne, qu’il soit joué dans plusieurs théâtres lyonnais ainsi que dans la région Rhône-alpes. N’étant pas une pièce mais un montage, la forme permet de pouvoir approcher divers publics. Ce spectacle se veut une porte pour entrer dans la pensée et l’univers d’Ibsen ; nul besoin de connaître ses œuvres. Néanmoins, les amateurs de théâtre se plairont à y retrouver les grandes scènes du dramaturge et à découvrir quelques pans de sa vie. Il s’adresse donc à un public adulte, cultivé ou novice.
Nous aimerions notamment pouvoir le jouer en lycée ainsi que dans des MJC ou des centres sociaux. Plusieurs extraits de pièces constituent le spectacle, n’en jouer que certaines et créer un échange, une discussion entre les comédiens et le public, me paraît essentiel tant pour l’importance du sujet que dans l’approche même de la pratique théâtrale où les barrières entre le public et les acteurs doivent être dépassées.